Gérard Montariol : du comptoir de la pharmacie à l'Atlantique en solitaire
Qui aurait pu prédire qu'un jeune étudiant en pharmacie, obligé de repasser son baccalauréat par manque d'intérêt pour les études, traverserait un jour l'Atlantique en solitaire à bord d'un trimaran de 13 mètres ? Certainement pas Gérard Montariol lui-même. Né en 1943 à Nîmes, rien ne le destinait à cette double vie de pharmacien d’officine et d'aventurier des mers.
C’est pendant ses années de faculté qu’il fait la connaissance de sa future épouse Évelyne, rencontrée lors du bal de première année. Il la qualifie lui-même comme une “bosseuse”, tandis que lui peinait à trouver sa motivation. Après son service militaire à Bordeaux comme interne pharmacien à l'hôpital, c’est en 1972 qu'il décroche son diplôme. Mais c'est une tout autre passion qui habitait déjà le jeune homme. Celle de la mer et du vent, transmise par son oncle médecin qui lui avait appris à naviguer. Une passion si dévorante qu'enfant, il n'avait pas hésité à voler un dériveur au Grau-du-Roi pour participer à sa première compétition organisée par le club de voile des Mouettes. Évelyne partageait elle aussi cet amour de la voile depuis l'enfance, et c'est ensemble qu'ils allaient construire leur vie entre terre et mer.
À la sortie de ses études, Gérard Montariol se trouvait face à un dilemme familier à tous les jeunes diplômés en pharmacie : comment financer l'achat d'une officine ? Sans le capital nécessaire, il choisit une solution originale : partir un an à La Réunion pour effectuer des remplacements. Au retour de cette parenthèse tropicale, plutôt que d'investir l'intégralité de ses économies dans une pharmacie, Gérard achète un monocoque de neuf mètres, baptisé "Folie Douce". C’est finalement en 1974 que le couple Montariol créa enfin deux officines, une pour chacun. Montariol n'abandonne pas pour autant la voile et en 1982, sa passion franchit un nouveau cap. Il fait l’acquisition d’un trimaran baptisé "Gauloise IV" (en référence à la "cigarette du sportif") et avec ce nouveau bateau, ses ambitions prennent une autre dimension. Il ne s'agissait plus seulement de naviguer le long des côtes méditerranéennes, mais de viser plus grand, plus loin, plus audacieux.
C'est à la radio qu'il entend parler de la Route du Rhum pour la première fois. Cette course mythique, créée en 1978, qui reliait Saint-Malo à Pointe-à-Pitre en solitaire, faisait déjà rêver des milliers de marins. Pour Gérard Montariol, ce fut une révélation immédiate. À 43 ans, pharmacien établi, père de famille, il décide de se lancer dans l'aventure.
Restait à convaincre les sponsors. Le Conseil Général du Gard et la ville du Grau-du-Roi crurent en ce projet improbable et lui accordèrent un budget de 75 000 francs. Une somme modeste comparée aux budgets des grands favoris, mais qui permit à Gérard d'équiper son trimaran, rebaptisé "Espace Gard" pour l'occasion, et surtout d'acheter un spinnaker, cette grande voile indispensable pour les allures portantes. Le 9 novembre 1986, au milieu des stars de la voile comme Florence Arthaud à bord de "Fleury-Michon" ou Loïc Caradec, le pharmacien nîmois franchissait la ligne de départ à Saint-Malo. Personne ne croyait vraiment aux chances de ce skipper néophyte face aux professionnels aguerris. La traversée allait se révéler une épreuve autrement plus rude que tout ce qu'il avait connu en Méditerranée.
L'Atlantique ne fait pas de cadeau aux amateurs. Pendant vingt-un jours, Gérard Montariol affronta les éléments avec une détermination qui força le respect. Les tempêtes se succédèrent, mettant à rude épreuve le trimaran et son skipper. À bord, les conditions étaient spartiates : le froid mordant, l'humidité omniprésente qui s'infiltrait partout, le manque de sommeil cruel. Trois heures de repos par jour tout au plus, des quarts d'heure assis sur sa couchette pour de brefs réveils épuisants. La solitude amplifie chaque difficulté. Une manœuvre qu'un équipage accomplirait aisément devenait un combat titanesque pour un homme seul, épuisé, aux mains blanches et gonflées par les carences vitaminiques. Puis vinrent les avaries mécaniques. Trois vagues gigantesques brisent les liaisons radio, privant Gérard de tout contact avec le monde extérieur. Pendant trois jours, sa femme Évelyne resta sans nouvelles. Les dépressions s'enchaînent, impitoyables. Onze voiliers restèrent en course sur les trente-trois au départ. Mais Gérard Montariol tient bon. Son bateau, bien que modeste, se révéla résistant. À l'arrivée à Pointe-à-Pitre, le pharmacien nîmois décrocha une place honorable (10e) et surtout remporta le Trophée des multicoques. Pour un skipper amateur, terminer la Route du Rhum constituait déjà un exploit, la gagner dans sa catégorie relevait du prodige.
De retour en France, "Espace Gard retrouve son anneau à Port-Camargue et Gérard Montariol rentre à Nîmes. Après cette parenthèse atlantique, Gérard Montariol reprit naturellement sa place derrière le comptoir de sa pharmacie de la route d'Avignon à Nîmes. C'est la pharmacie qui lui permet de continuer à naviguer, d'acheter des bateaux, d'entretenir cette passion dévorante. Un équilibre parfait entre la stabilité professionnelle et l'appel du large. Car Gérard ne renonça jamais à la voile. Bien au contraire. Depuis plus de quarante ans maintenant, chaque été, il part faire le tour du monde sur un catamaran de dix-sept mètres appartenant à un ami. Ces périples estivaux, bien loin de l'agitation de l'officine, sont devenus son rituel. Parallèlement, depuis vingt ans, Gérard poursuit un projet aussi fou que ambitieux : la construction d'un trimaran de 18 mètres. Un chantier au long cours, mené avec la même obstination patiente qui l'avait conduit à traverser l'Atlantique. Aujourd'hui retraité, Gérard Montariol navigue quatre à cinq fois par an. Moins qu'autrefois peut-être, mais avec la même passion intacte, le même émerveillement devant l'étendue bleue et le vent qui gonfle les voiles.
Son parcours illustre à merveille qu'il n'existe pas de destinée toute tracée, que les études difficiles ne présagent en rien de l'avenir, et qu'un pharmacien d’officine peut aussi être un marin au long cours. Gérard Montariol a prouvé qu'avec de la détermination et une pointe de folie, les rêves les plus audacieux peuvent devenir réalité. Quelque part entre Nîmes et le grand large, Gérard Montariol a tracé sa route.